En 2014 Jovoy lançait un nouveau parfum, l’Art de la guerre, une fougère féminine.
Entre amateurs de parfums (aussi connus sous le nom de perfumistas), il est un accord tacite : le parfum n’a pas de genre. Les hommes peuvent porter des parfums a priori féminins, et inversement. C’est d’ailleurs une chose que la parfumerie de niche a bien compris, puisqu’elle ne classifie pas (ou très peu) ses parfums selon un genre de destination. Malgré cela, certains types de parfums restent associé à un genre, et c’est le cas de la famille des fougères, qui restent principalement des parfums masculins. Rien à voir avec la verdure, cette famille, apparue en 1884 avec Fougère royale de Houbigant, est basée sur un accord de notes lavande, bois, géranium, mousse de chêne, coumarine (un composant de la fève tonka), bergamote, etc. L’accord fougère est considéré comme préférentiellement masculin car souvent utilisé dans les produits d’hygiène masculins (savon, mousse à raser, un vrai accord fougère rappelle l’ambiance d’un salon de barbier!). Exemples de parfums de la famille des fougères : Azzaro pour homme, Drakkar noir, le Mâle de JPG, et même Chergui de Serge Lutens (bon là ok la fougère s’est encanaillé avec un bel oriental).
Et quand, en 2014, Jovoy décide de lancer un nouveau parfum, ça sera une fougère, mais une fougère qu’une femme pourrait porter. Et cette fougère comportera des notes originales, comme l’immortelle et la rhubarbe. Au final, cette fougère a réussi son pari puisqu’elle peut sans problème être portée par un homme ou par une femme, sans l’effet “j’ai piqué son parfum à mon mec/père”. Du moment que vous aimez le vert! Car, drôle de retournement, ce parfum là est vert… comme une fougère (la plante cette fois, vous suivez?). Et les différentes nuances de vert rappellent le mélange qu’on trouve sur les imprimés camouflage des militaires.
La tonalité verte principale est donnée à mon nez par l’IBQ (isobutyl-quinoléine, molécule utilisée pour donner un accord cuir vert), qui est ici très bien dosée (quand il y en a trop dans un parfum je ne la supporte pas) et pose le parfum. Deux autres nuances de vert se disputent la suite : un flash vert vif apporté par la rhubarbe pas encore très mûre et la pomme granny (que je sens très peu, je sens surtout la rhubarbe, mais la note pomme participe au côté vert acidulé de la rhubarbe), et une note ocre apportée par l’immortelle. Cette dernière donne également de la texture au parfum, un peu rêche et herbe séchée qui craque sous les Rangers, avec l’aide de la muscade (qui sèche la senteur). L’ordre d’arrivée au rapport de ces deux nuances dépend des peaux et du support : sur ma peau c’est l’immortelle qui arrive d’abord, alors que sur touche c’est la rhubarbe. Une pointe de lavande rappelle que c’est bien d’une fougère qu’il s’agit ! En fin d’évolution le parfum s’installe confortablement sur un lit de mousse de chêne (ce que je sens le plus) et de patchouli, et prend des tonalités plus sourdes et plus sombres de vert, mais reste très confortable grâce au ciste et au santal. Je lui reprocherais cependant de rester assez compact par temps frais, avec une prédominance de la note verte de l’IBQ. C’est par temps chaud qu’il prend son essor et que les notes de déploient, et qu’il est le plus beau.
Une très belle création de chez Jovoy, qui joue avec les codes d’une famille de parfums très typée. La tenue est très bonne, et le sillage présent sans être incommodant (les parfums verts ça ne plaît pas à tout le monde, la preuve, d’habitude je n’aime pas!). D’ailleurs je n’en profiterai plus, puisque mon père m’a chipé mon flacon!
L’Art de la guerre, Jovoy, 100 ml (120€) ou 50 ml (80€), EDP
Année : 2014
Parfumeur : Vanina Muracciole
Je reste béate (et je ne plaisante pas) devant l’art de la description et tant de précision. A chaque revue de parfum j’apprends et découvre des choses sur cet univers. Plus je lis tes billets “parfum“ plus me vient l’envie d’en savoir plus sur le monde de l’alchimie des fragrances. Et cette confirmation que le parfum réagit à celui/celle qui le porte, je comprends mieux maintenant comment un parfum de Lutens avait si mal réagi sur moi alors que c’était un délice quand un proche le portait. Merci pour ces beaux billets, qui doivent demander un sacré travail pour retranscrire ces subtils équilibres olfactifs !
[Reply]